Le cavalier de bronze

Fecha: 16 mayo, 2024
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue nicaraguayen Daniel Ortega en visite officielle en 2014 // REUTERS

Par Sergio Ramirez.

Lorsqu’en mars de cette année le camarade Vladimir Vladimirovitch Poutine, seul candidat à la présidence de la Russie, a remporté les élections à une écrasante majorité, la présidente du Honduras, Mme Xiomara Castro, fervente partisane du socialisme du XXIe siècle à la Chávez, n’a pas tardé à le féliciter. Dix de ces pays, dont le Chili, ont signé une déclaration de refus. D’autres, comme le Mexique et le Brésil, sont restés silencieux.

Le soutien parfois aveugle, parfois caché, que la vieille gauche apporte au tsar de toutes les Russies, le camarade Poutine, est surprenant. Et il ne s’agit pas seulement de la gauche dictatoriale ou autoritaire, au pouvoir dans des pays comme Cuba, le Venezuela, le Nicaragua ou la Bolivie, mais aussi d’une certaine gauche intellectuelle, réfugiée dans les cloîtres où le vieux léninisme tropical laisse encore couler sa moisissure sur les murs, et dans les vieux clubs de pensée orthodoxe, tous deux nostalgiques du socialisme réel, dont Poutine est le prophète destiné à le faire revivre.

Quand « la guerre des contras » a éclaté au Nicaragua , armée par l’administration Reagan, ils ont tenté de renverser les révolutionnaires sandinistes, plutôt que comme une escarmouche de guerre froide, cette bataille a été considérée par les cercles de la gauche militante comme une agression flagrante de la part de l’ancienne et de la gauche. Goliath protecteur contre le David imberbe et faible qui n’avait que des pierres dans son salbèque pour défendre son petit pays.

Cette même gauche, désormais grisonnante, a effacé du disque dur cette image de justice que les faibles ont dans toute lutte inégale, lorsqu’en février 2022 les troupes du tsar Vladimir ont envahi l’Ukraine et se sont mises d’accord avec Goliath, ou ont détourné le regard, feignant dissimulation, ou demander de manière astucieusement salomonienne, l’endiguement « aux deux parties », l’envahisseur et l’envahi. David était un fasciste corrompu.

Tout pourrait être attribué au syndrome anti-impérialiste entretenu tout au long du XXe siècle par les occupations militaires des États-Unis, et leur soutien aux coups d’État militaires, qui fixe un Goliath impérissable sur la rétine, qui n’en permet pas la copie. Le Goliath qui revient aux Ukrainiens, s’il les frappe à la tête avec le marteau, c’est pour leur bien.

Et, en outre, si Poutine le justicier, « le grand leader de l’Humanité » comme l’appelle Maduro, est contre l’impérialisme pervers nord-américain, qui reste inchangé dans la lettre des manuels, les fidèles anti-impérialistes d’hier et les anti-impérialistes recyclés ceux d’aujourd’hui, ils doivent serrer les rangs autour du héros des steppes.

Pour les vieux camarades qui tournent leurs yeux vers le paradis épais et gris du socialisme réel, plus que pour le tsar qui cherche à restaurer les frontières de l’ancienne et mythique Rus dont l’Ukraine, « O destin manifeste » ! , fait naturellement partie, Poutine représente le résurrection des gloires de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. Les murs du Kremlin ne sont-ils pas toujours là ? Et Staline lui-même, sur le cheval de Pierre le Grand, le cavalier de bronze, monte à nouveau, désormais torse nu.

Mais voyons. Poutine, apôtre de la gauche ? Un étrange personnage qui est aussi, en même temps, l’apôtre de la droite la plus fermée, et qui, tel le dieu romain au double visage Janus, peut regarder deux côtés opposés à la fois.

Alexandre Duguin, l’idéologue ultraconservateur, est à Poutine ce que Steven Bannon est spirituellement à Donald Trump. Duguin invoque un « fascisme à la russe », soutenu par un nazisme ésotérique capable de céder la place à une nouvelle droite européenne, capable de mener une révolution conservatrice universelle. Où le met-on alors ? Plus proche de Jair Bolsonaro, ou plus proche de Nicolas Maduro ? Ou se pourrait-il que quelqu’un comme Ortega veuille aussi « un État fort et solide… une radio et une télévision patriotiques… qui expriment les intérêts nationaux » ?

Ce sont d’étranges amalgames, mais force est de constater qu’ils sont possibles. Duguin s’intéresse également au satanisme et aux manifestations de l’occultisme. Et selon les critères de Bernard-Henry Lévy, c’est un raciste antisémite typique, auquel il faut ajouter les critères homophobes de Poutine lui-même, dont les lois interdisent tout type de mariage entre personnes du même sexe, et cherche à établir des centres de conversion forcée pour les homosexuels. Les livres soupçonnés de contenir de la propagande gay, même s’il s’agit de classiques de la littérature russe, sont soumis à la censure.

Les royaumes autoritaires sont semblables, tout comme les familles heureuses. Et les familles idéologiques extrêmes se ressemblent également. Quelle distance y a-t-il entre Duguin et Bannon ? Aucune . Le « mouvement » de Bannon veut une révolution populiste de dimension mondiale, combat frontalement les migrations, l’idéologie du genre, les droits LGBT, la légalisation de l’avortement, déclare le changement climatique comme une légende absurde et se déclare en lutte ouverte contre « le marxisme culturel ».

« Peccata minuta » est ce dernier point, qui pourrait bien être ignoré par la gauche orthodoxe. Pour être heureux en famille, il faut savoir se cacher.

______________________________________________________

Sergio Ramírez est écrivain et lauréat du prix Cervantes. Son dernier livre publié est Le Cheval d’Or (Alfaguara).

*Article publié initialement dans El País (Espagne)

Compartir