Le défi iranien.
Menace et réponse à la croisée des chemins
Fecha: 6 enero, 2023

Par Gidon Frank,
Dr Ephraim Askolai,
Général (R.) Amos Gilad,
Dr Shai Har-Zvi

Traduction par Oded Balaban Et Centre PEN Uruguay.

Photo: kremlin.ru CC BY 4.0

4 janvier 2023

Le défi iranien que confronte le nouveau gouvernement israelien dès le premier jour de son mandat est complexe en raison de l’intensification de la menace contre Israël. Cette menace est basée sur une idéologie extremiste qui appelle à la destruction d’Israël, ainsi qu’au renforcement des capacités pour réaliser cette vision, principalement la recherche d’une arme nucléaire militaire et le développement de missiles à longue portée. À la lumière de cela, il est nécessaire d’examiner ce que le gouvernement devrait faire pour arrêter l’Iran.

Le projet nucléaire : avancer ensemble, éviter passer la limite

L’Iran a plusieurs atouts à son actif, qui lui permettent d’aller de l’avant avec le projet nucléaire. Ainsi, l’Iran profite du fait que la question n’occupe pas une place centrale dans les priorités occidentales, en raison de la focalisation sur des sujets plus brûlants (Ukraine, énergie, alimentation, etc.), d’une manière qui reflète également les réticences de l’Occident à détériorer les relations au risque d´une confrontation directe. Ceci, ajouté à l’absence d’un mécanisme de surveillance ordonné et complet de ses activités après le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire et la cessation par l’Iran du respect du protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Dans le domaine de l’enrichissement, l’Iran possède actuellement une quantité d’uranium enrichi suffisante qui permet de produire plusieurs bombes en quelques semaines. Le début de l’enrichissement à 60 % à l’installation souterraine de Purdue a même été annoncé, tandis que l’enrichissement à ce niveau se poursuit à l’installation de Natanz. Ceci, ainsi que la mise en fonctionnement des anciennes centrifugeuses vers des nouvelles, qui peuvent enrichir l’uranium plus rapidement et en plus grande quantité.

En même temps, l’Iran continue de développer un large éventail de moyens de livraison d´engins atomiques et d’améliorer les capacités de missiles balistiques, notamment en promouvant un programme spatial. Ce programme pourrait permettre à l’Iran d’utiliser les technologies des lanceurs de satellites pour la production de missiles balistiques, qui, selon les publications, pourraient à l’avenir être capables d’emporter des ogives nucléaires. En outre, l’axe stratégique avec la Russie pourrait conduire au transfert de systèmes et de technologies de missiles russes qui contribueront à améliorer les capacités iraniennes dans le domaine de la défense aérienne et antimissile.

Face à cela, l’Iran est contraint de se débattre avec une série de restrictions qui reflètent, au moins à ce stade, sa capacité à prendre la décision d’aller de l’avant avec le nucléaire. C’est une combinaison des difficultés économiques et des manifestations qui ont eu lieu en Iran ces derniers mois et de la peur de la force de la réaction américaine. Ceci, accompagné d’un sentiment d’angoisse face au resserrement des liens entre Israël et ses voisins (Golfe, Azerbaïdjan, Turquie). Pour l’instant, il apparaît que, du point de vue du régime iranien, les inconvénients pouvant découler d’une confrontation directe avec l’Occident l’emportent sur les avantages potentiels d’une percée pour obtenir des capacités nucléaires. Pour preuve, on constate que Téhéran évite, jusqu’à ce qu’on le sache, mettre en marche l’enrichissement à 90 % de son uranium, bien qu’il puisse déjà le faire dans l’immédiat, puisque l’écart technologique entre les différentes étapes d’enrichissement est extrêmement faible (contrairement à l’étape « de saut » requise pour passer de 3,6 % a 60 % d’enrichissement).

Le délai actuel pour une bombe nucléaire militaire : deux ans après la prise d’une décision iranienne

Des sources en Israël et dans le monde disent que la période nécessaire à l’Iran pour développer des capacités nucléaires militaires opérationnelles est d’environ deux ans. Avec le programme d’enrichissement, la question clé est celle du rythme d’avancement des autres étapes essentielles du développement des capacités nucléaires militaires, parmi lesquelles se distingue le développement du mécanisme explosif et des moyens de lancement. Contrairement à l’enrichissement, ces activités doivent être menées avec le plus grand soin et le plus grand secret, car si elles sont révélées, la possibilité de nier leur finalité est impossible.

L’Iran suit une politique visant à développer un potentiel qui lui permet, sous réserve de la décision du dirigeant, d’évoluer vers la réalisation de la capacité nucléaire dans les plus brefs délais et quelles que soient les limites technologiques et matérielles. Compte tenu de cela, à notre avis, dans un scénario aggravé, les Iraniens seront en mesure de procéder à un essai nucléaire dans un délai relativement court à partir du moment où la décision est prise. Ceci, en resserrant les termes d’un certain nombre de questions, si et quand cela est décidé, comme nous l’apprendrons également des documents d’archives iraniens publiés. C’est d’abord et avant tout le potentiel d’enrichissement à 90% (d’abord progressivement pour tenter d’y habituer l’Occident comme cela se faisait au début avec un enrichissement à 60% également) ; dans la possibilité de préparatifs pour effectuer un essai nucléaire, éventuellement souterrain, qui serait difficile à localiser ainsi que les difficultés posées par l’assemblage du mécanisme explosif, et bien plus de « détails » encore.

À notre avis, à ce stade, il y a peu de chances qu’un nouvel accord nucléaire soit efficace, qu´il prive l’Iran des capacités technologiques que le pays déjà acquises et puisse ramener le programme nucléaire iranien de nombreuses années en arrière. Cela est largement dû au manque de confiance de l’Iran envers les réticences du gouvernement américain, à la possibilité de faire avancer progressivement le projet sans crainte de mesures punitives importantes de l’Occident et à la leçon potentielle de la guerre d’Ukraine concernant le certificat d’assurance qui fournit des armes nucléaires.

Quant à la possibilité de revenir à l’accord initial, il y a des considérations apparemment contradictoires qui doivent être examinées à la lumière des diverses options d’action auxquelles Israël est confronté. D’une part, l’accord permettra une période d’environ 8 ans pour les processus de construction de la force jusqu’à son achèvement en 2031. De plus, il permettra la découverte rapide de toute violation iranienne, dans les limites de l’accord. D’autre part, l’accord mettra fin aux sanctions et versera des dizaines de milliards de dollars à l’Iran qui lui permettront de réhabiliter son économie et d’approfondir son implication au Moyen-Orient, tout en renforçant les capacités de ses mandataires et alliés, sans aucune crainte réelle (du moins jusqu’à présent) de mesures punitives importantes de la part de l’Occident.

Significations et recommandations

Le point de départ de toute planification future par le gouvernement israélien devrait être que l’Iran est déterminé à atteindre la capacité nucléaire militaire et que le calendrier du projet nucléaire peut être réduit de deux ans. Un essai nucléaire iranien changera la situation d’un extrême à l’autre, et l’Iran sera considéré comme un pays nucléaire à toutes fins utiles. Une telle évolution pourrait conduire à une course aux armements nucléaires tant au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Égypte et Turquie) qu’en Asie (Corée du Sud, Japon), à l’érosion des traités internationaux traitant des questions nucléaires et à saper la stabilité régionale et accroître la confiance en soi de l’Iran pour agir contre Israël et les États du Golfe.

Étant donné que la fenêtre d’opportunité pour arrêter le projet nucléaire se ferme, le nouveau gouvernement doit formuler une stratégie générale qui sera basée sur deux piliers fondamentaux.

Le premier pilier, se sera au niveau militaire par l’accélération des processus de renforcement des forces avec l’aide des États-Unis. Ceci, d’une manière qui illustrera qu’Israël a l’intention d’agir à tout prix, et avec tous les moyens à sa disposition, pour contrecarrer le projet nucléaire.

Le deuxième pilier se situe dans l’espace diplomatique à travers la coopération avec la communauté internationale. Israël doit agir résolument pour s’assurer qu’il ne fait pas face tout seul à la menace iranienne, mais qu’il s’agit d’un défi commun qui met en danger l’ensemble de la communauté internationale, et que la seule façon d’y faire face passe par l’unification des capacités et des efforts. Ceci, profitant du sentiment négatif au sein de l’administration américaine et en Europe envers l’Iran après l’aide à la Russie et la répression brutale des émeutes proprement iraniennes, devrait pouvoir articuler conjointement diverses activités contre le régime iranien.

Une condition nécessaire pour arrêter le projet nucléaire est la préservation de l’alliance stratégique et de la relation privilégiée avec les États-Unis. A cette fin, le nouveau gouvernement est tenu d’assurer une coordination stratégique et sécuritaire avec l’Administration de ce pays, tout en veillant à construire des relations de confiance et éviter les mouvements potentiellement conflictuels avec, en particulier, ce qui concerne l’arène palestinienne et les groupes de défense des minorités.

Dans le cercle régional, Israël a l’opportunité de profiter de la peur commune du renforcement de l’Iran, afin de travailler à élargir l’éventail des liens de sécurité avec les États du Golfe, entre autres par le biais d’une coopération multilatérale avec le CENTCOM (US Central Command). En même temps, Israël devrait éviter de prendre des contre-mesures contre la Russie, notamment en ce qui concerne la fourniture de systèmes de défense aérienne à l’Ukraine, afin de conserver entre ses mains une liberté d’action maximale pour agir contre l’Iran dans la région. Israël doit investir des efforts particuliers de persuasion contre la Chine pour exercer son influence sur l’Iran, étant entendu que la nucléarisation de l’Iran aura un effet mondial négatif qui affectera également la Chine elle-même.

Israël devrait agir pour renforcer les restrictions internes imposées au régime iranien, tout en reliant les pressions économiques aux manifestations qui ont explosé dans le pays au cours des quatre derniers mois. À cette fin, Israël doit convaincre les États-Unis et les pays occidentaux que la dernière option qui reste sur la table avant une action militaire est d’imposer des sanctions supplémentaires étendues et extrêmement douloureuses à l’Iran, similaires à celles imposées l’année dernière à la Russie. L’Iran sera privé de toute capacité à entretenir des liens avec l’Occident (y compris dans les domaines de l’aviation civile, de la culture et des sports) et l’isolera à la manière de la Russie et de la Corée du Nord. Ceci, pour qu’elle montre au régime le prix à payer pour la perte causée par ses mesures et puisse l’obliger à changer de conduite, voire à accepter un nouvel accord, bien plus sévère que le précédent.

Enfin, Israël doit tenir compte du fait qu’une action militaire contre l’Iran conduira à une confrontation directe avec ce pays et ses alliés et mandataires dans la région. Par conséquent, il doit agir pour renforcer les capacités défensives sur le front intérieur et les installations essentielles. L’une des conditions nécessaires pour cela est d’éviter des mesures unilatérales contre les Palestiniens. Celles-ci pourraient obscurcir l’atmosphère des relations avec l’administration américaine, accroître les frictions avec les Palestiniens et entraîner Tsahal dans une activité de haute intensité, d’une manière qui affectera sa capacité à se préparer de manière adéquate à des scénarios d’escalade contre l’Iran, le Hezbollah et d’autres acteurs qui opèrent dans la région.

*Publié par l’Université Reichman

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Les auteurs:

Gideon Frank, est président du comité exécutif du Technion et ancien président de la commission de l’énergie atomique

Le Dr Ephraim Ascholai, est chercheur principal invité, ancien chercheur principal de la Commission de l’énergie atomique et de l’Agence internationale de l’énergie atomique

Le général de division (rés.) Amos Gilad, est directeur de l’Institut de politique et de stratégie de l’Université Reichman

Le Dr Shai Har-Zvi, est chercheur principal à l’Institut de politique et de stratégie de l’Université Reichman

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